4
Il faisait nuit noire quand le bip du com retentit près de la tête d’Eve. Le flic en elle émergea aussitôt et brancha l’appareil.
— Dallas. — Dallas ! O mon Dieu... Dallas ! J’ai besoin de toi.
Le flic céda la place à la femme quand elle aperçut le visage de Mavis sur l’écran : pâle, un hématome sous un œil, des griffures sur la joue, les cheveux en bataille.
— Lumière ! Ordonna-t-elle, et la chambre s’éclaira. Mavis, qu’y a-t-il ? Où es-tu ?
— Il faut que tu viennes. (Elle haletait. Ses yeux étaient hallucinés.) Dépêche-toi, je t’en prie ! Je crois qu’elle est morte et je ne sais pas quoi faire.
Eve ne lui redemanda pas où elle se trouvait ; elle lança le programme de reconnaissance d’appel. Quand elle lut l’adresse de Leonardo, elle se força à garder une voix calme et ferme.
— Reste où tu es. Ne touche à rien. Tu m’as comprise ? Ne touche à rien. Et ne laisse entrer personne à part moi. Mavis ?
— Oui, oui. Viens vite ! C’est affreux !
Quand elle se retourna, Connors enfilait son pantalon.
— Je t’accompagne.
Elle ne discuta pas. Cinq minutes plus tard, ils étaient en route, fonçant à travers la nuit. Hormis pour savoir où ils se rendaient, Connors ne posa aucune question et Eve lui en fut reconnaissante. Le visage terrifié de Mavis dansait devant ses yeux. Pis encore, elle voyait la main tremblante de son amie. Et la tache, dessus, était du sang.
Une bourrasque la gifla quand elle bondit de la voiture de Connors. Elle franchit comme une flèche les trente mètres qui la séparaient de l’entrée de l’immeuble. Elle donna un coup sur la caméra de sécurité.
— Mavis, c’est Dallas. Mavis, ouvre, bon sang !
Elle était dans un tel état qu’il lui fallut dix bonnes secondes avant de se rendre compte que l’unité de surveillance avait été détruite.
Connors poussa la porte qui n’était plus verrouillée et ils se dirigèrent vers l’ascenseur.
En arrivant sur le palier, Eve comprit que ses pires craintes étaient justifiées. Le désordre accueillant et coloré du loft avait cédé la place au chaos : tissus déchirés, arrachés, tables renversées, objets brisés. Murs et étoffes étaient éclaboussés de sang.
— Ne touche à rien ! ordonna-t-elle à Connors par réflexe. Mavis ?
Elle s’immobilisa quand un rideau moiré frémit. Mavis apparut, chancelante.
— Dallas... Dallas... Dieu merci !
— Tout va bien, dit Eve, soulagée de constater que le sang qui souillait son amie n’était pas le sien. Tu es blessée ?
— J’ai des vertiges... envie de vomir. Ma tête.
— Laisse-la s’asseoir, Eve. (Connors la conduisit jusqu’à une chaise.) Viens, ma chérie, assieds-toi. C’est ça. Elle est en état de choc, Eve. Trouve-lui une couverture. Renverse la tête en arrière, Mavis. C’est bien, ma fille. Ferme les yeux et respire.
— Il fait froid.
—Je sais. (Il ramassa un morceau de satin par terre pour la recouvrir.) Respire à fond, Mavis. Lentement et profondément. (Un coup d’œil vers Eve.) Il faut s’occuper d’elle.
— Je ne peux pas appeler les medics tant que je ne sais pas ce qui s’est passé. Fais au mieux.
Redoutant ce qu’elle allait découvrir, Eve franchit le rideau.
Elle avait eu une mort atroce. Eve la reconnut à sa chevelure de flammes. Le visage, autrefois si beau, si parfait, n’était plus qu’une bouillie d’os et de chair.
L’arme était toujours là, négligemment abandonnée. On aurait dit un accessoire de mode, une sorte de canne de marche. Sous le sang et le reste, on distinguait une poignée en argent massif représentant un loup grimaçant.
Eve l’avait vue l’avant-veille, rangée dans un coin de l’atelier de Leonardo.
Par acquit de conscience, elle prit le pouls de Pandora.
— Seigneur ! murmura Connors derrière elle avant de poser les mains sur les épaules de la jeune femme. Que vas-tu faire ?
— Mon devoir. Mavis n’aurait jamais fait une chose pareille.
Il l’obligea à lui faire face.
— Cela, je le sais. Elle va avoir besoin de toi, Eve. Elle va avoir besoin d’une amie et d’un bon flic.
— Je sais.
— Ça ne va pas être facile pour toi d’assumer les deux rôles.
— Je ferais mieux de m’y mettre tout de suite.
Elle retourna auprès de Mavis, s’agenouilla devant elle et prit ses mains glacées dans les siennes.
— Il faut que tu me racontes tout. Prends ton temps, mais dis-moi tout.
— Elle ne bougeait pas. Il y avait tout ce sang et... son visage... Elle... elle ne bougeait pas.
Eve pressa ses doigts.
— Mavis, regarde-moi. Dis-moi exactement ce qui s’est passé quand tu es arrivée ici.
— Je suis venue... Je... je voulais parler à Leonardo. (Elle frissonna, serra le tissu sur elle de ses mains maculées de sang.) Il était dans tous ses états la dernière fois qu’il est passé au club. Il a même menacé le videur et ça ne lui ressemble pas. Je ne voulais pas qu’il bousille sa carrière, alors je me suis dit que je devais lui parler. Je suis venue et quelqu’un avait détruit le système de sécurité. La porte n’était pas verrouillée. Parfois, il oublie.
Sa voix s’éteignit.
— Mavis, Leonardo était-il ici ?
— Leonardo ? (Ses yeux hébétés fouillèrent la pièce.) Non, je ne crois pas. J’ai appelé parce qu’il y avait un tel désordre. Personne n’a répondu. Et tout ce sang... J’avais peur, Dallas, peur qu’il ne se soit tué ou qu’il n’ait commis une folie... alors, je suis allée derrière. Je l’ai vue. Je crois que... je suis tombée... parce que j’étais à genoux devant elle et j’essayais de hurler. Je ne pouvais pas hurler. C’était dans ma tête. Je hurlais dans ma tête et je ne pouvais plus m’arrêter. Et puis, je crois que quelque chose m’a frappée. Je crois... (Elle porta la main à sa nuque.) J’ai mal. Mais rien n’avait changé quand je me suis réveillée. Elle était toujours là, et le sang aussi. Alors, je t’ai appelée.
— O.K. L’as-tu touchée, Mavis ? As-tu touché à quoi que ce soit ?
— Je ne sais pas. Je ne crois pas.
— Qui t’a fait ces marques sur le visage ?
— Pandora.
La peur, soudain.
— Chérie, tu viens de me dire qu’elle était morte quand tu es arrivée.
— C’était avant. Plus tôt dans la soirée. J’étais allée chez elle.
Eve, l’estomac noué, respira avec lenteur.
— Tu as été chez elle cette nuit. Quand ?
—Je ne sais pas exactement. Vers onze heures, peut être. Je voulais lui dire que je me tiendrais à distance de Leonardo, lui faire promettre qu’elle ne s’en prendrait pas à lui.
— Tu t’es battue avec elle ?
— Elle était défoncée. Il y avait des gens chez elle, une petite soirée. Elle a été méchante, elle a dit des choses... Je lui ai répondu. On s’est disputées. Elle m’a frappée, griffée. (Mavis releva sa chevelure, pour montrer d’autres blessures sur son cou.) Les gens qui étaient là nous ont séparées et je suis partie.— Où es-tu allée ?
— Dans un bar. (Elle eut un pauvre sourire.) Plusieurs, je pense. Où je me suis apitoyée sur mon sort. Puis j’ai eu l’idée de venir parler à Leonardo.
— A quelle heure es-tu arrivée ici ?
— Trois, quatre heures du matin.
— Sais-tu où est Leonardo ?
— Non. Il n’était pas là. Et elle... Que va-t-il arriver ?
— Je m’en occupe. Je dois signaler le meurtre, Mavis. Si je ne le fais pas très vite, ça va paraître bizarre. Il va falloir que j’enregistre tout ça et que je te soumette à un interrogatoire.
— Tu ne crois pas que j’ai...
— Bien sûr que non. (Il était important de garder une voix ferme pour dissimuler ses propres peurs.) Mais nous allons éclaircir tout ça aussi vite que possible. Ne t’inquiète pas, d’accord ?
— J’ai l’impression de ne plus rien sentir.
— Reste assise là pendant que je mets la machine en route. Essaie de te souvenir des détails. A qui tu as parlé ce soir, où tu as été, ce que tu as vu. Tout ce que tu peux te rappeler. Nous allons devoir recommencer ceci dans un petit moment.
— Dallas... (Mavis se redressa en frissonnant.) Leonardo ne ferait jamais une chose pareille.
— Ne t’inquiète pas, répéta Eve.
Elle lança un coup d’œil à Connors qui comprit le signal et vint auprès de Mavis. Eve sortit son com et s’éloigna.
— Dallas. J’ai un meurtre.
La vie d’Eve n’avait jamais été facile. Dans sa carrière de flic, elle avait vu trop d’atrocités pour en tenir le compte. Mais elle n’avait jamais rien fait d’aussi difficile que de procéder à l’interrogatoire de Mavis.
— Tu te sens bien ? demanda-t-elle quand elles furent installées dans la pièce. On peut remettre ça à plus tard.
— Non, les medics m’ont fait une injection pour engourdir la douleur. (Mavis toucha la bosse sur son crâne.) Ils m’ont aussi donné un truc pour m’éclaircir les idées.
Eve étudia longuement les pupilles de Mavis. Tout semblait normal, mais cela n’apaisa pas ses craintes.
— Écoute, on pourrait t’hospitaliser un jour ou deux...
— Je préfère qu’on en finisse tout de suite. Leonardo... (Mavis déglutit.) On a retrouvé Leonardo ?
— Pas encore. Mavis, tu as droit à un avocat.
— Je n’ai rien à cacher. Je ne l’ai pas tuée, Dallas.
Eve lança un coup d’œil vers l’enregistreur. Non, pas tout de suite.
— Mavis, il va falloir que je procède selon les règles. On risque de m’enlever l’affaire, sinon. Et, dans ce cas, je ne pourrai plus t’aider.
Mavis passa la langue sur ses lèvres.
— Ça va être dur.
— Ca peut l’être. Il va falloir que tu tiennes le coup.
Mavis esquissa un pâle sourire.
— Bah ! Rien ne peut être plus dur que d’arriver là-bas et de trouver Pandora.
Tu te trompes, pensa Eve, mais elle hocha la tête. Elle brancha l’enregistreur, déclina son nom et son identification, et lut ses droits à Mavis. Puis elle commença l’interrogatoire.
— Quand tu t’es rendue au domicile de la victime pour lui parler, d’autres personnes étaient-elles présentes ?
— Oui. Il y avait Justin Young. Tu sais, l’acteur. Et Jerry Fitzgerald, le top model. Et un autre type que je n’ai pas reconnu.
— La victime t’a attaquée ?
— Elle m’en a balancé un, fit Mavis en touchant sa joue tuméfiée. Tu parles d’un comité d’accueil ! Elle avait les yeux qui dansaient la samba, j’ai pensé qu’elle était camée.
— D’après toi, elle usait de substances illégales ?
— Et pas qu’un peu ! Ses yeux étaient brillants comme des cristaux. Et ce coup qu’elle m’a donné ! Je m’étais déjà accrochée avec elle, tu étais là, poursuivit Mavis tandis qu’Eve grimaçait. Mais elle n’avait pas une force pareille à ce moment-là.
— Tu l’as frappée, toi aussi ?
— Je crois que je l’ai touchée au moins une fois. Elle m’a griffée... Elle avait de ces ongles ! Je lui ai tiré les cheveux. Je crois que c’est Justin Young et l’autre type qui nous ont séparées.
— Et ensuite ?
— On a dû se cracher au visage un petit moment et je suis partie. Écumer les bars.
— Où es-tu allée ? Combien de temps y es-tu restée ?
—J’ai dû en faire plusieurs. Je crois que j’ai commencé par le ZigZag, à l’angle de la 65e Rue et de Lex.
— Tu as parlé à quelqu’un ?
— Je n’étais pas d’humeur à engager la conversation. J’avais mal au visage et je ne me sentais pas dans mon assiette. J’ai commandé un Triple Zombie et je suis restée à bouder dans mon coin.
— Comment as-tu payé ?
— Euh... avec ma carte de crédit, je pense.
Bien, il y aurait une trace.
— De là, où es-tu allée ?
— J’ai traîné. J’ai dû entrer ailleurs, j’étais à la masse.
— Tu as continué de boire ?
— Sûrement. J’étais complètement pétée quand j’ai décidé d’aller chez Leonardo.
— Comment y es-tu allée ?
— A pied. J’avais besoin de me dégriser un peu.
— En quittant le ZigZag, tu as pris quelle direction ?
— Dieu seul le sait ! Je venais d’avaler deux Triple Zombies. Dallas, je ne sais plus dans quels bars j’ai traîné, quelles mixtures j’ai avalées... De la musique, des gens qui rient... un danseur.
— Un danseur ?
— Un strip-teaser. Avec un engin formidable et un tatouage. Un serpent, ou un lézard...
— A quoi il ressemblait, ce danseur ?
— Bon sang, Dallas, je ne l’ai pas regardé une seule fois au-dessus de la ceinture.
— Tu lui as parlé ?
Mavis se prit la tête entre les mains, essayant de faire le tri dans ses souvenirs.
— Je ne sais pas. J’étais dans un sale état. Je me souviens d’avoir marché et marché pour aller chez Leonardo en me disant que c’était peut-être la dernière fois que je le verrais. Je ne voulais pas être soûle en arrivant chez lui, alors j’ai pris un ou deux cachets pour me remettre d’aplomb. Et puis je l’ai trouvée, et c’était bien pire qu’une gueule de bois.
— Qu’as-tu vu en entrant ?
— Du sang. Des flots de sang. Des objets renversés, cassés, et encore du sang. J’ai eu peur que Leonardo ne se soit fait du mal. J’ai foncé vers son atelier et je l’ai vue. Je l’ai reconnue tout de suite à sa chevelure et à ses vêtements. Mais son visage... Je n’arrivais pas à hurler. Je me suis agenouillée à ses côtés, me disant qu’il fallait que je fasse quelque chose. Puis j’ai reçu un coup. Quand j’ai repris conscience, je t’ai appelée.
— As-tu vu quelqu’un dans la rue avant d’entrer ?
— Non. Il était tard.
— Parle-moi de la caméra de surveillance.
— Elle était cassée. Parfois, ça amuse les voyous de les bousiller. Je n’en ai pas tiré de conclusions.
— Comment es-tu entrée dans l’appartement ?
— La porte n’était pas fermée.
— Et Pandora était morte ? Tu ne lui as pas parlé ? Vous ne vous êtes pas disputées ?
— Non, je te l’ai dit. Elle gisait là, sans vie.
— Tu t’étais déjà battue avec elle à deux reprises. T’es-tu encore battue avec elle chez Leonardo ?
— Non. Elle était morte.
— Pourquoi t’étais-tu battue avec elle avant ?
— Elle avait menacé de briser la carrière de Leonardo. Elle ne voulait pas le laisser tranquille. Nous nous aimions, mais elle ne voulait pas lâcher prise. Tu as vu comment elle était, Dallas.
— Leonardo et sa carrière comptent beaucoup pour toi ?
— Je l’aime, dit calmement Mavis.
— Tu ferais n’importe quoi pour le protéger, pour qu’on ne lui fasse pas de mal ?
— J’avais décidé de sortir de sa vie, déclara Mavis avec dignité. Sinon, elle lui aurait fait du mal et je n’aurais pas pu le supporter.
— Elle n’aurait pas pu lui faire du mal si elle était morte.
— Je ne l’ai pas tuée.
— Tu es allée chez elle, vous vous êtes disputées, elle t’a frappée et tu as riposté. Tu es partie, tu t’es soûlée. Tu es allée chez Leonardo, et elle était là-bas. Peut-être que vous vous êtes disputées encore, peut-être qu’elle t’a de nouveau attaquée. Tu t’es défendue et les choses ont mal tourné.
Mavis écarquilla les yeux, d’abord étonnée, puis blessée.
— Pourquoi dis-tu ça ? Tu sais que ce n’est pas vrai.
Le visage impassible, Eve se pencha.
— Elle gâchait ta vie, elle menaçait l’homme que tu aimais. Elle t’a frappée. Elle était plus forte que toi. Quand elle t’a vue arriver chez Leonardo, elle t’a de nouveau attaquée. Elle t’a jetée au sol, tu t’es cogné la tête. Alors, tu as eu peur, tu as attrapé la première chose qui t’est tombée sous la main. Pour te protéger. Tu l’as frappée avec, pour te protéger. Peut-être que ça n’a pas suffi, qu’elle a continué à t’attaquer, alors tu l’as encore frappée. Toujours pour te protéger. Et puis, tu as perdu la tête et tu as continué de frapper, encore et encore, jusqu’à ce qu’elle ne bouge plus.
Mavis étouffa un sanglot et se mit à trembler violemment.
— Non... Ce n’est pas vrai ! Je ne l’ai pas tuée ! Elle était déjà morte. Au nom du ciel, Dallas, comment peux-tu me croire capable d’assassiner qui que ce soit ?
Ne craque pas, s’ordonna Eve, pousse-la. Pousse-la encore.
— Peut-être que tu ne l’as pas fait. Peut-être que c’est Leonardo, et que tu le protèges. Tu l’as vu perdre le contrôle de ses nerfs, Mavis ? C’est lui qui a pris cette canne pour la frapper ?
— Non, non, non !
— Ou bien es-tu arrivée après, alors qu’il était penché sur le cadavre, saisi de panique ? Tu as voulu l’aider, tu l’as fait partir. Et toi, tu es restée pour m’appeler.— C’est faux ! (Mavis bondit, les joues blêmes, les yeux fous.) Il n’était même pas là. Je n’ai vu personne. Leonardo ne ferait jamais une chose pareille. Pourquoi ne m’écoutes-tu pas ?
— Je t’écoute, Mavis. Assieds-toi. Assieds-toi, répéta-t-elle avec plus de douceur. Nous en avons presque terminé. Désires-tu ajouter quelque chose ou changer quoi que ce soit à ta déclaration ?
— Non, murmura Mavis en fixant d’un œil vide un point au-dessus de l’épaule d’Eve.
— Voilà qui conclut Interrogatoire Un, Mavis Freestone, Fichier Homicide, Pandora. Dallas, Lieutenant Eve. (Elle nota la date et l’heure et éjecta le disque.) Je suis désolée, Mavis. Vraiment désolée.
— Comment as-tu osé me faire ça ? Comment as- tu pu me dire des horreurs pareilles ?
— Il le fallait. Il fallait que je te pose ces questions et que tu y répondes. (Elle posa une main ferme sur celle de son amie.) Il faudra peut-être que je te les repose et il faudra que tu y répondes de nouveau. Regarde-moi, Mavis. (Elle attendit que Mavis lève les yeux.) J’ignore ce que le labo trouvera. Mais, à moins que nous n’ayons beaucoup de chance, il va te falloir un avocat.
Toute couleur déserta le visage de Mavis.
— Tu vas m’arrêter ?
— On n’en est pas encore là, mais je veux que tu sois préparée. A présent, tu vas rentrer avec Connors et dormir un peu. Je veux que tu essaies vraiment de te souvenir des endroits, des heures et des gens. Si tu te rappelles quoi que ce soit, enregistre-le pour moi.
— Que vas-tu faire ?
— Mon boulot. Et je suis une sacrée pro, Mavis. Ne l’oublie pas. Et fais-moi confiance pour tirer les choses au clair.
— M’innocenter, tu veux dire, répliqua Mavis avec un brin d’amertume. Je croyais qu’on était «innocent jusqu’à preuve du contraire ».
— C’est un des plus grands mensonges de notre société. Je ferai de mon mieux pour boucler l’affaire au plus vite. C’est tout ce que je peux te dire.
— Tu pourrais dire que tu me crois.
— Ça aussi, je peux te le dire.
Mais ce qu’elle croyait n’avait pas sa place dans l’enquête.
Il y avait toujours de la paperasserie. Il fallut encore une heure avant que Mavis ne quitte le poste et ne soit assignée à résidence sous la responsabilité de Connors. Officiellement, elle était enregistrée comme témoin. Officieusement, elle était la principale suspecte. Bien décidée à changer cet état de fait sur-le-champ, Eve retourna à son bureau.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Mavis a démoli un mannequin ?
— Feeney !
Eve faillit lui sauter au cou. Il était assis dans son fauteuil, son sempiternel paquet de cacahuètes sucrées sur le ventre.
— Les rumeurs vont vite, ajouta-t-elle.
— C’est la première chose dont on m’a parlé ce matin. Quand la copine d’un de nos meilleurs flics se fait agrafer pour le meurtre du plus célèbre top model de la planète, ça fait du bruit.
— Elle est témoin, c’est tout.
— Les médias sont déjà sur les dents. Ils n’ont pas encore le nom de Mavis mais ils ont déjà étalé le visage de la victime sur tous les écrans. Ma femme m’a trainé hors de la douche pour que je voie ça. Cette Pandora, c’était un sacré morceau.
— Tu veux un résumé de la déposition de Mavis ? demanda Eve en perchant une fesse sur le bureau.
— Tu crois que je suis ici pour l’ambiance ?
Elle lui fit un bref compte rendu qui le fit grimacer.
— Bon sang, Dallas, ça n’a pas l’air très bon pour elle. Toi-même, tu les as vues se battre.
— Ça oui. Qu’est-ce qui lui a pris d’aller revoir Pandora ? (Elle s’était mise à arpenter la pièce.) Cela aggrave son cas. J’espère que le labo va nous trouver quelque chose mais je ne peux pas compter là-dessus. Tu es occupé, aujourd’hui, Feeney ?
— Mauvaise question. De quoi as-tu besoin ?
— Une liste des débits de sa carte de crédit. Elle a commencé par le ZigZag. Si nous arrivons à la localiser dans un bar au moment de la mort, elle est tranquille.
— Je peux m’en occuper mais... quelqu’un traînait sur les lieux du crime et a assommé Mavis. Elle a dû arriver sur place très, très peu de temps après le meurtre.
— Je sais. Mais je ne dois rien laisser au hasard. Je vais essayer de retrouver les gens qu’elle a rencontrés chez Pandora, ainsi qu’un strip-teaser avec un sexe énorme et un tatouage.
— C’est fou ce qu’on s’amuse dans ce métier.
Elle faillit sourire.
— Et puis, il faut que je mette la main sur l’insaisissable Leonardo. Où était-il, bon Dieu ? Et où est-il, maintenant ?